Après avoir observé la vie du Frère Trudon pendant ces 15 dernières années, j’ai intitulé cette méditation : La force de croire ou la volonté de vivre. Le Frère Trudon a cru en la vie. Et il a cru jusqu’au bout. Animé d’une volonté forte et folle de vivre, il a combattu le bon combat. Depuis plus de 10 ans, les médecins lui avaient pronostiqué la mort dans trois mois, il a survécu plus d’une dizaine d’année. Trudon a eu la volonté et la force de vivre, la force de la foi. Au-delà de tout, la vie de l’homme est dans les mains de Dieu.
Aujourd’hui, le Frère nous a quittés. Il est vrai que nous nous y attendions. Lui-même aussi, mais nous ne savions pas exactement le moment. On a beau s’y attendre mais la mort surprend toujours. C’est là la preuve de notre limite, de notre fragilité et de notre humanité. Dieu seul reste souverain devant la mort.
Quand la mort nous visite, quand on perd un parent, un membre de famille, celle-ci a raison d’être épouvantée, dans un premier temps. D’abord, parce que la mort est cruelle. Peu importe les raisons de la mort. On pleure son mort. Quand on perd un être cher, vous avez la nette impression que le ciel vous tombe dessus et surtout que le sol se dérobe sous vos pieds. Vous avez l’impression que tout est perdu. Et vos espoirs s’envolent, s’évanouissent. « C’est par le silence d’une absence que l’on mesure l’importance d’une présence ». L’évanescence est un sentiment de vide, un sentiment de manque que l’on ne sait pas nommer ni exprimer d’une façon appropriée.
La famille a, ensuite, raison de pleurer, parce la place et la chaise du frère restent vides. A chaque événement, on se rendra compte du vide. Personne ne saura prendre sa place. Il a été arraché à l’affection des siens, comme on dit. Le mort vaut la peine d’être pleuré. Puisqu’il nous a aimés et nous l’avons aussi aimé. Quel noble sentiment que l’amour ! Nous nous joignons à la pensée de Gilbert Cesbron pour prier: «Seigneur, apprenez-moi à les aimer vivants, à les aimer à temps». N’attendons pas les derniers instants pour un hommage posthume. C’est trop tard.
Enfin, quand on perd un membre de famille, on voit les choses autrement, car l’expérience de la mort vous aura appris. Le regard des autres sur vous et votre regard aussi sur la personne changent.
Devant la souffrance provoquée par la mort d’un des siens,
Ou on plonge dans le désespoir, Et on se plaint
Ou un feu d’espérance et de prise en charge s’allume
Et c’est l’heure de la responsabilité
Puisque ce qu’il faisait devient désormais votre charge
Le moment de la souffrance est un moment de vulnérabilité, et l’homme a besoin d’une parole d’ami, une parole qui rassure, une parole qui remonte, car la vie continue. Elle doit continuer.
Le Frère Trudon qui vient de nous quitter est un baobab qui vient de tomber ; mais aujourd’hui, je voudrais le considérer non pas comme un baobab mais plutôt comme un bananier. Un baobab est gros et grand, historique et séculaire, mais il est simplement imposant et statique. Le baobab est parfois envahissant et aussi a toutes les chances de ne pas développer des plus jeunes sous lui. Un bananier, par contre, apparemment frêle et faible, est fécond. Grand formateur des jeunes à l’école de menuiserie de Koshibanda et de Mwembe, le frère Trudon a su mettre à profit son talent pour l’émergence d’une jeunesse à la recherche de son avenir. Il a été un homme bon qui ressemble à un bananier. Son feuillage servi d’ombrage et de fraîcheur à ceux qui voulaient s’y abriter. Le bananier n’a pas vocation à être seul, il produit toujours, il fait croître toujours des plus jeunes autour de lui, preuve de sa fécondité et de sa détermination à assurer la postérité. Le bananier, après avoir produit, donné, meurt, en se laissant abattre ; il meurt pour donner des bananes à manger, il meurt pour donner naissance aux plus jeunes, pour que les plus jeunes grandissent et se développent là où il avait poussé. La vie vient de la mort. Il faut qu’un meure pour que l’autre surgisse. Quel fair-play !
Le Frère Trudon s’est retiré pour que nous puissions naître, croître et donner à notre tour. C’est l’appel que cette mort nous lance. « Il faut que je diminue pour qu’il croisse ». Pour produire, un palmier doit être émondé, taillé. Ainsi en est-il aussi de notre vie.
La vie du Frère Trudon a été un long voyage. Il a eu la chance de cheminer avec des bons compagnons, des gens capables non seulement de l’accompagner mais qu’il a aussi accompagnés. Combien ont croisé son chemin ? Qui d’entre nous n’a pas bénéficié de son conseil, de son sourire ? Pour ma part, j’ai travaillé avec lui dans notre Administration provinciale, comme Conseiller. Un homme convaincu de la valeur de l’autre, doux et sage. Nous avons aujourd’hui un devoir de gratitude vis-à-vis de cet homme illustre. Mais le destin des grands hommes est souvent étrange. Ils finissent par mourir dans la simplicité. C’est là précisément le sens de leur grandeur.
Le Frère Trudon nous aura laissé un exemple de vie simple et dévouée, disciplinée et donnée. Mais surtout une vie de foi avec une confiance et spiritualité mariale ferme. Que pouvons-nous faire pour ce devoir de mémoire et gratitude ? Je finis en vous faisant une proposition : planter chacun, dans leur parcelle, un arbre fruitier en souvenir. N’oublions pas trop vite ceux qui ont marqué notre vie et notre histoire. Et le Frère Trudon est de ceux-là.
Puisse-t-il intercéder pour nous tous.
Adieu Trudon Pebangu
Adieu, Frère.
Que la terre où tu vas reposer bientôt te soit douce et légère.
Baudouin Mubesala, omi
07 mai 2024
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